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La création de la filature de Lalobbe

Dernière mise à jour : 1 nov.

Durant des siècles, le travail du textile a été artisanal. Tout passe par la main de l'homme, aidé par la force hydraulique des moulins pour le dégraissage et le foulage. Cette même utilisation de la force de l'eau va intervenir sur le cardage et le filage avec la mécanisation. Le véritable départ de l'industrie de la laine se situe, au XIXe siècle. La Révolution française a libéré des cours d’eau jusque-là jalousement surveillés par la noblesse laïque et ecclésiastique. Au cours de la première moitié du XIXe siècle, les rivières de la région se couvrent d’usines, dont la Vaux, principalement pour la laine peignée et cardée.


C'est ainsi qu'en 1834, Pierre Gustave Savoye, ancien notaire et Jacques Florentin Willemet, originaire de Lalobbe et y possédant des propriétés, constituent un dossier en vue de la création d’une usine[1] sur la Vaux. Un projet de règlement d’eau est dressé le 17 mai 1835 et publié le 23 juin de la même année. Ce projet ne vit jamais le jour, (faillite des deux entrepreneurs selon les notes de Mr Didion[2]).


Légende du plan

Le 31 janvier 1840, Victor Adnet, ancien procureur du roi,  après avoir acquis la propriété de Messieurs Savoye et Villemet  reprend le projet à son compte et adresse une requête afin d’obtenir l’autorisation de création de son usine.


Il avait précédemment entrepris diverses démarches auprès des propriétaires riverains de la Vaux afin de mener à bien son projet :

  • Au cours de l’année 1839, par actes passés devant notaire, il obtint des droits sur le lit et les eaux de la Vaux que lui cédèrent les Parizot le long de leur propriété à la Côte d’Yon contre 20 francs, de même Gabriel Peltier et Sophie Druart à la « Culée Lilette »contre un droit de passage sur les terres de Mr Adnet.

  • La famille Champagne lui accorda le droit de dériver la rivière sur toute la longueur de leur propriété à la Côte d’Yon et au Fonds Martin qui faisait partie de leur ferme de la Sauge Aux Bois, ainsi que le droit de curer la rivière en face de leur propriété du Fond Martin sur une longueur de 200 mètres en aval de la passe du Laid Trou, sous réserve d’empierrer la berge.


Mr Adnet fit également l’acquisition de terrains et procéda à divers échanges :

  • Le bois de la Scierie (un peu plus de deux hectares) au lieudit la Robine de l’Ecluse dit la Scierie pour 1200 francs, une are de terres au lieudit Le Port ou la Wacheline pour 40 francs, 44 ares de terres plantées d’arbres fruitiers à la Croisette pour 1200 francs, 11 ares de prés au lieudit la Scierie pour 156 francs, 21 ares de pré à la Scierie, 21 centiares de jardin au Laidtrou avec obligation d’enlever les arbres mais d'en laisser les souches, le tout pour 482 francs ; de plus dans cet acte il est mentionné que Mr Adnet aura le droit de curer et niveler la rivière à condition que le passage à gué en amont de la passe du Laid Trou reste praticable.

  • En 1840, il échangea le Pré du Gué ou Henrionne (87 ares) acquis le 23/10/1838 de Pierre Gustave Savoye, ancien notaire contre le pré et chènevière située à la Culée Lilée (42 ares) et laissa aux anciens propriétaires le bénéfice des arbres de cette parcelle sous condition de les enlever avant le 30 juillet 1840 et d'en laisser les souches bordant la rivière. Dans l’acte est précisé que Mr Adnet aura la possibilité de recoupe pour l’établissement du pont sur la rivière et devra déposer les déblais sur la partie basse du pré.


De 1842 à 1844, plusieurs rapports de l’ingénieur des Ponts et Chaussées font état de l’avancement des importants travaux que Victor Adnet réalise en vue de mettre en place un complexe réseau hydraulique (environ 50 000 francs cf les notes de Mr Didion) :


  • création d’un déversoir de 10 m de longueur avec deux vannes de décharge,

  • canal de fuite (pour rendre l’eau à la rivière) avec deux souterrains et une buse passant sous la rivière,

  • lit de la rivière approfondi depuis la passerelle du Laid Trou jusqu’à 250 m en aval,

  • construction d’une digue le long des propriétés de la rive droite qui pourraient être menacées par d’éventuelles inondations

  • Rehaussement du chemin de Lalobbe à la Sauge aux Bois aux abords de la rivière

  • Construction d’un pont « en charpente » à une voie pour le passage des voitures afin de remplacer le gué de  la Sauge Aux Bois devenu impraticable



Déversoir et vannes de décharges
Entrée du canal de fuite souterrain

La rivière au-dessus du déversoir

Mr Adnet avait prévu la création d’un réservoir sur une superficie d’un peu plus d’un hectare avec, depuis le pont de la Sauge Aux Bois jusqu’au déversoir, la création de digues latérales de 2m de largeur et talus. Ce projet aurait dut être abandonné suite à la contestation de Mr Rouillé de Fontaine qui possédait une usine sur la Vaux à Wasigny, mais l'annonce de mise en location des installations parue plus tard en fait mention (voir ci-dessous).

 

Fin janvier et début février 1841, Victor Adnet fait paraître dans la presse locale des annonces afin de louer en partie ou en totalité le cours d’eau de la Vaux en s’engageant à construire au gré des amateurs, les installations nécessaires à tout type d’industrie (meunerie, clouterie, filature de laine et de lin, peignage et  tissage mécanique etc...). Il promet même de livrer bâtiment et moteur au plus tard pour le 1er septembre prochain.

 

A nouveau, par une annonce parue dans le Journal du Tribunal de 1ere instance de Rethel, Mr Adnet informe de la mise en location d’une usine hydraulique installée sur la Vaux. Un bâtiment en briques de 39 mètres de long sur 13 mètres de large, composé de cinq salles, prêtes à recevoir des machines et pourvu d’un moteur de 30 chevaux, a été construit, ainsi qu’un réservoir de 15 à 18 000 m3 d'eau et un canal de fuite. Victor Adnet vente le sérieux de son projet attesté par les études qu'il a fait faire sur la puissance de la chute d’eau de la rivière par Mr Jules Arthur Morin ingénieur militaire français, spécialiste du génie mécanique, (ce dernier a notamment travaillé sur le rendement des machines et l’efficacité des moteurs hydrauliques, en particulier les roues à aubes et les turbines).    

Apparemment, Mr Adnet ne trouve pas preneur et développe lui-même une filature de laine. Dans les registres d’état civil de Lalobbe en 1843, on relève la présence de François Jacob, et en 1844 Thomas Felix Jacob, tous deux fileurs en mécanique demeurant au Laid trou ainsi qu’ en 1845 Marie Ismérie Jacob « contre dame »(féminin de contre maître) en mécanique.


Dès 1844, Victor Adnet connaît des difficultés financières, ainsi qu'on peut le constater dans les audiences du tribunal de Rethel. La société Villeminot-Huart[3] et un certain Mr Corbeau sont autorisés à reprendre le matériel livré et visiblement non payé (la vente des machines par Corbeau en octobre 1844 avait déjà été réduite de 28 à 18 000 francs et remplacée par un bail notarié le 15 mai 1845 dont les loyers n’avaient pas été honorés). D'autres créanciers se manifestent et entament des poursuites contre Mr Adnet.


 

Alors que le 29 octobre 1845, l’ordonnance royale de création d’une usine vient de lui être accordée, Victor Adnet est  déclaré en faillite dans le courant de l’année 1846 et une annonce parait dans la presse informant de la mise en vente, le 30 décembre 1846 par le tribunal civil de Rethel d’une filature récemment construite à Lalobbe sur la Vaux.

Il est précisé que 24 métiers avec leurs accessoires, la roue hydraulique avec transmission ont été saisis et que les fondations d’un second bâtiment ont été faites. Le domaine s’étend sur 27 hectares et comprend en autre, un bâtiment pour le logement des ouvriers, un étang et des jardins.  


 Pour l'instant, je n'ai pu retrouver la trace de cette vente, les archives du tribunal de Rethel à cette période étant lacunaires. L'on sait par les matrices cadastrales de Lalobbe que dès 1848, Alexandre Prosper Tranchart a acquis tous les biens détenus par Victor Adnet dont la filature. ( voir publication suivante : "François Gabriel Tranchart ou la prospérité de la filature").

 

[1] Par "Usine", il faut comprendre machine mue par l'eau. C'est à partir de la révolution industrielle, une fabrique dont le produit est obtenu par des machines plus que par le travail des ouvriers, tels que moulin ou forge qui utilisent l’énergie hydraulique remplacée ensuite par la vapeur.


[2] Voir les études sur les filatures de la Vaux réalisées par Mr Joseph René Didion, (1890-1961) sous-archiviste des Ardennes (voir aux AD08 cote 1J823 Pièces isolées et petits fonds).


[3] Antoine, Barthélemy Villeminot-Huart, fils d’ouvrier,  commença par être mécanicien, puis fonda à Reims un établissement de construction de métiers mécaniques.

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