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Qui a dit que " C’était mieux avant » ? 1773 Epidémie de Thyphus à Lalobbe

Dernière mise à jour : 26 oct.

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De tout temps, de grandes épidémies ont frappé la France, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, l’espérance de vie était de 25 ans dans les pays d’Europe. À cette époque, nos ancêtres succombaient, pour la plupart, à une infection bactérienne ou virale, quand la mort n’était pas le résultat d’un épisode critique, comme la guerre ou la famine. Un seul microbe suffisait à terrasser de nombreuses victimes.


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 Pendant longtemps les maladies infectieuses n’existaient que par leurs symptômes et les épidémies étaient subies sans être comprises. Il a fallu attendre l’arrivée du microscope, la maîtrise de la fermentation et des milieux de culture, pour que les bactéries apparaissent autrement que comme des fruits de l’imagination.

 

Avec la multiplication des vaccins puis la découverte des antibiotiques des maladies autrefois destructrices, comme la scarlatine, la rougeole, la rubéole, les oreillons, le tétanos ou la diphtérie,ont vu leur impact sur la mortalité des pays industrialisés reculer de manière spectaculaire.

 

Toutefois la récente épidémie de Covid est là pour nous rappeler que le risque existe toujours.

 


Les registres paroissiaux de Lalobbe enregistrent des pics de mortalité que l’on peut attribuer - si ce n'est à des périodes de famines très fréquentes sous l'ancien régime - à ces diverses épidémies telles la petite vérole (variole)-la suette (une maladie aujourd'hui disparue), la rougeole, la scarlatine, les fièvres intermittentes, les fièvres putrides (Typhus ou fièvre typhoïde), la peste, le choléra etc..


De 1700 à 1791, j’ai relevé sept périodes où le nombre significativement élevé de décès est supérieur à celui des naissance alors qu’habituellement le solde naturel (différence entre naissances et décès) est positif.

 

Ainsi de 1772 à 1775, une épidémie de fièvre putride(*) frappe, entre autres villages du  Porcien, Lalobbe. Un médecin, Jacques Tellinge, docteur en Médecine, médecin pensionné de la ville et de l’Hôtel Dieu de Rethel est envoyé sur place par l’intendant (l’équivalent de l’actuel Préfet) de Champagne , Mr. Rouillé d’Orfeuil, pour étudier cette maladie.


 (*)Fièvre qu’on attribue à la corruption des humeurs, parce que l’haleine et les excréments du malade exhalent une odeur fétide. La médecine de l’époque était basée sur l’existence dans le corps humain de quatre humeurs, le sang, le phlegme (liquide céphalo-rachidien), la bile jaune et la bile noire qui étaient censés gouverner l'équilibre du corps humain, toute atteinte pathologique étant le résultat d'un déséquilibre de ces humeurs.


Le Dr Tellinge rédige un mémoire qui est aujourd’hui conservé dans la bibliothèque de l’académie de Médecine (Cote : SRM 172 / dossier 8 / pièces 9-15).


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Le docteur Jacques Tellinge décrit une fièvre putride sévère ayant frappé le village entre novembre 1772 et août 1773, causant de nombreux décès et une grande misère.

 


Contexte et portée de l’épidémie

Tellinge constate que cette fièvre, apparue dans plusieurs villages autour de Rethel, a pris à Lalobbe une intensité exceptionnelle : presque tous les habitants furent atteints, et près d’une cinquantaine de pères de famille moururent dans le canton avant son arrivée en février 1773. L’auteur souligne la contagiosité de la maladie — les soignants étant eux-mêmes souvent contaminés.


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Transcription :

"Celle (la fièvre putride) qui a régné à Lalobbe et dans toutes les fermes qui en dépendent, bien plus terrible, a été généralement répandüe, et il suffisoit de donner ses soins aux malades pandant quelques jours de suitte, our en être attaqué. A peine un seul habitants de ces différents endroits a-t-il échappé à sa cruauté et beaucoup y ont succombé. Vaincüe plusieurs fois en apparence, on la voyait renaître quelques jours après avec de nouvelles forces, et elle a enlevé un grand nombre de pères de famille dont les enfants abbandonnés languiroient dans la plus triste indigence, sans les secours du seigneur du lieu."

Dans les registres des années 1772 et 1773 , on note les décès de plusieurs couples dont les conjoints sont décédés à quelques jours d’intervalle.


Un acte notarié garde également trace de cette épidémie.


Compte de tutelle des enfants Druart suite au décès de leur parents durant l’épidémie (AD08 Archives notariées)
Compte de tutelle des enfants Druart suite au décès de leur parents durant l’épidémie (AD08 Archives notariées)

Transcription :

[...] Par l’intelligence duquel il est observé qu’après le décès dudit Nicolas Antoine Druart arrivé le dix huit fevrier mil sept cent soixante treize, c’est à dire quelques jours après celui de la dite Jeanne Varlet sa femme dans un temps de maladie épidémique qui a fait un ravage considérable au dit Lalobbe laissant huit enfans tous [...]

 

Nicolas Antoine Druart est décédé le 18 février 1773 et son épouse le 10 février de la même année. On dénombre pour la seule année 1773, 42 décès soit à peu près le double de ceux observés habituellement.

  


Description clinique

 L'auteur distingue quatre périodes de la maladie :


  1. fièvre violente, abattement, maux de tête, constipation, parfois nausées, amélioration trompeuse après deux ou trois jours.

  2. retour brutal et aggravé des symptômes, éruptions cutanées (pétéchies), fièvre continue, visage et yeux enflammés.

  3. fièvre ardente avec délire, agitation, fureur, gangrènes internes ou externes menant souvent à la mort.

  4. chez les survivants, faiblesse persistante, toux sèche, coliques, diarrhées, fièvres intermittentes ; convalescence très lente et sujette aux rechutes.


 

Causes identifiées

 

Le Dr Tellinge incrimine deux causes principales :

 

  • Mauvais alimentation et misère  : les habitants, ruinés par la cherté des grains, se nourrissent de pommes de terre mal préparées, le pain est rare  et les boisson sont issues de pommes pourries (restes de cidre) ; ce qui aurait « épaissi les humeurs » et favorisé la putridité dans le corps.


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 Transcription :

1er cause Depuis plusieurs années que les grains ont été excessivement chers presque tous les habitants de Lalobbe et des fermes voisines ne se sont nourris que de ceux que leurs mauvaise qualités faisoient donner à très vil prix. Beaucoup n’ont vécu que de pommes de terre(*) point ou mal préparées et n’avoient point de pain. Presque tous ont fait leur boisson des restes pourris des pommes qui avoient servi à faire le cidre." (*) l'auteur paroit dans l'opinion que les pommes de terre sont une mauvaise nourriture, tandis que beaucoup de personnes les regardent comme très saines

  • Conditions locales : Lalobbe, humide et mal aéré, est encaissé entre des montagnes boisées, ce qui favorise la stagnation des « miasmes putrides » (odeurs) émanant des maisons et du cimetière situé au centre du village. Ces conditions propagent la contagion

 

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Transcription :

2ème cause Lalobbe est situé au nord-ouest de Rethel dans un fond environné de toute part de montagnes très élevées et couvertes de bois. Il est arrosé par une petitte rivière. Il ne se trouve entre les montagnes qui le couvrent de très près, d’autre ouverture que deux petittes gorges, l’une au nord, l’autre au sud-ouest. L’humidité et le froid presque continuel du pays, augmentés par les pluies fréquentes et abondantes ont suffi pour déterminer la putridité commencée par les mauvais aliments. Les miasmes putrides émanés des maisons et des cadavres des premiers mors, même du cimetière qui est à peu près au milieu du village, ont étendu et entretenu la contagion. Nous ne chercherons donc pas d’autres causes de la nature ni de la durée de cette cruelle maladie.

Traitement médical


 Tellinge fonde son traitement sur trois objectifs :

 

  • Combattre l’inflammation : Saignées précoces (1-2 maximum) pour réduire la fièvre et l’inflammation (si trop tardives ou trop nombreuses, aggravation des symptômes) et administrer des boissons rafraîchissantes.

 

  • Purger les humeurs corrompues  : émétique (vomitif, notamment l’ipéca) pour purger « les levains putrides », puis lavements, purgatifs légers.

 

  • Corriger la putridité du sang : boissons antiseptiques, émulsions nitrées (nitre : salpêtre) en cas de délire, emplâtres vésicatoires (appliqué sur la peau), puis purgatifs et toniques selon les cas.

 

  • Observations : Le quinquina (écorce contre la fièvre) aggrave les symptômes. Les douleurs diaphragmatiques cèdent au kermès minéral (Médicament expectorant ou vomitif à base d'oxysulfure d'antimoine). Les coliques et diarrhées répondent aux purgatifs doux et antiputrides.

 

Deux cas de gangrène terminale sont décrits :


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 Transcription :

"J’ai eu deux exemples de gangrêne extérieure arrivée sur la fin. Les remèdes les mieux indiqués et les plus grands soins n’ont pu en empêcher les funestes progrès. Le premier exemple de cette gangrêne se trouva chez une femme dont tout la jambe et la cuisse gauche sont tombées comme en lambeaux dans toute leur longueur. Le second chez un homme dont tout un côté fut criblé de petits ulcères gangreneux."


On n'ose imaginer les douleurs endurées par ces deux patients........


 

Conclusions et appréciation du Dr Tellinge

 Sur environ cent soixante malades traités, quinze moururent — un résultat jugé satisfaisant, plusieurs victimes étant déjà mourantes ou trop démunies pour recevoir des soins.

La maladie est due à la combinaison d’une alimentation défectueuse et d’un environnement malsain. Le traitement, bien que partiellement efficace, montre l’importance d’agir vite et de combiner saignées, purgations et antiseptiques. Tellinge conclut en louant l’aide du chirurgien Breton de Wasigny et la charité de l’intendant Rouillé d’Orfeuil.



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Jacques Tellinge né à Reims en 1734, était docteur de la faculté de médecine de Reims et alla s'établir en 1760 à Rethel, où il est mort le 30 avril 1811. Il a publié en 1776 un Cours d'Accouchements.




Pour celles (ou ceux) que cela intéresse, il est possible de consulter cet ouvrage sur Internet : https://books.google.ch/books?id=WKhkAAAAcAAJ


 
 
 

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